[Séminaire CDED YS] Transport maritime et concurrence

La mer occupe aujourd’hui encore, et même plus que jamais, une place centrale. Il suffit de porter un regard sur le transport maritime pour s’en convaincre. Le transport maritime, entendu comme  « allant du transport local par ferries pour desservir des villes et archipels en empruntant des voies navigables intérieures et des voies maritimes courtes, aux liaisons à longue distance par ferries, vraquiers et porte-conteneurs, en passant par les croisières »¹, joue aujourd’hui un double rôle majeur. Sur le plan économique, les études montrent le caractère primordial du transport maritime pour l’économie de l’UE, étant donné que près de 90 % des marchandises importées arrivent par bateau et que le transport maritime joue également un rôle important pour le tourisme² ; qu’il est essentiel pour garantir la continuité des chaînes d’approvisionnement ; et qu’en outre, si l’on considère son impact économique total, le transport maritime de l’Union a contribué à hauteur de 176,7 milliards d’euros au PIB de l’Union en 2021 et employé près de 380 000 personnes³. Le rôle économique joué par le transport maritime a aussi des implications sur la cohésion de l’UE. De fait, « le transport maritime de marchandises et de passagers est un facteur essentiel de cohésion économique, sociale et territoriale, en particulier en ce qui concerne la connectivité et l’accessibilité des régions périphériques, insulaires et ultrapériphériques »⁴.

En matière économique, le transport maritime est confronté à un défi structurel et toujours d’actualité, qui est celui de sa compétitivité. La flotte européenne est, en effet, confrontée à la concurrence de navires enregistrés dans des pays tiers souvent présentés comme peu soucieux du respect des normes sociales ou environnementales. L’absence d’harmonisation des normes au niveau international créé des distorsions de concurrence pouvant affecter la compétitivité de la flotte européenne⁵. Cette concurrence, à laquelle la flotte européenne est confrontée depuis les années 1970, a aujourd’hui tendance à s’accélérer, certains observateurs dénonçant des stratégies offensives et déloyales de grands pays maritimes⁶.

Bien entendu, pour relever ces défis, le transport maritime a besoin de mobiliser différents corps de règles de nature à lui apporter un soutien concret. Parmi les corps de règles pouvant être sollicitées, les règles de concurrence figurent en bonne place. La sauvegarde de la compétitivité du secteur du transport maritime peut en effet supposer certaines atteintes à la concurrence. Les règles sur l’exercice de la concurrence peuvent ainsi être sollicitées (aides d’État, ententes, concentrations notamment en vue de la constitution de champions européens…). Au-delà de l’exercice de la concurrence, les règles sur l’accès même aux marchés peuvent également être mobilisées, en particulier, en ce qui concerne l’accès aux ports.

Dès lors, plusieurs interrogations se posent : les règles sur l’exercice de la concurrence permettent-elles les atteintes à la concurrence nécessaires à la compétitivité du transport maritime européen ? Ces règles font-elles l’objet d’assouplissements devant ces impératifs ou sont-elles appliquées comme d’ordinaire ? Le cas échéant, les assouplissements sont-ils suffisants ou faut-il aller plus loin ? Les règles sur l’accès aux marchés portuaires prennent-elles suffisamment en compte les exigences de compétitivité ? Ce sont ces interrogations auxquelles nous tenterons d’esquisser des réponses ici.


^{1 Avis du Comité économique et social européen sur le thème « Considérations d’équité et d’efficacité pour le transport maritime », JOUE, Série C, 6 févr. 2024, pt 2.1.
2 Avec près 350 millions de passagers enregistrés dans les ports européens en 2022
3 EU Blue Economy Observatory, Maritime transport, https://blue-economy-observatory.ec.europa.eu/eu-blue-economy-sectors/maritime-transport_en ; Résolution du Parlement européen du 27 avril 2021 sur des mesures techniques et opérationnelles pour un transport maritime plus efficace et plus propre, 27 avr. 2021, JOUE, n° C 506, 15 déc. 2021, p. 12.
4 Résolution du Parlement européen du 27 avril 2021 sur des mesures techniques et opérationnelles pour un transport maritime plus efficace et plus propre, préc.
5 Orientations communautaires sur les aides d’État au transport maritime, JOUE, n° C 13, 17 janv. 2004, p. 3.
6 Avis du Comité européen des régions— Un nouveau programme européen pour accélérer le développement des industries maritimes, JOUE, n° C 404, 29 nov. 2019, p. 44, spéc. pt 20 et 21_.}